Le sociofinancement, également appelé financement participatif, est devenu une méthode de plus en plus populaire pour financer des projets entrepreneuriaux, culturels ou sociaux. Que vous cherchiez à financer une start-up innovante, une œuvre artistique ou une cause communautaire, le sociofinancement permet de solliciter des contributions financières d’un grand nombre de personnes, souvent par l’intermédiaire de plateformes en ligne. Cependant, bien que ce modèle de financement puisse sembler simple et accessible, il soulève des questions importantes en matière de fiscalité et de conformité avec les lois sur les valeurs mobilières, notamment au Québec.
Dans cet article, nous allons explorer deux aspects majeurs du sociofinancement au Québec :
- Les conséquences fiscales pour le porteur de projet et les contributeurs.
- La nécessité ou non de déposer un prospectus auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour respecter les lois sur les valeurs mobilières.
I. Les Règles Fiscales du Sociofinancement au Québec
Les conséquences fiscales d’une campagne de sociofinancement dépendent en grande partie de la nature de la contribution reçue. Les lois fiscales québécoises et canadiennes considèrent divers types de financement participatif de manière différente, ce qui implique des obligations fiscales variées pour les porteurs de projet et, parfois, pour les contributeurs eux-mêmes.
1. Sociofinancement par dons
Dans ce modèle, les contributeurs apportent des fonds à un projet sans recevoir de compensation financière ou matérielle. Ce type de financement est souvent utilisé pour des causes humanitaires, sociales ou artistiques.
- Traitement fiscal pour le porteur de projet : Si les fonds sont considérés comme des dons personnels (cadeaux), ils ne sont généralement pas imposables. Toutefois, si les dons sont destinés à une entreprise ou à un projet à but lucratif, ils peuvent être considérés comme des revenus imposables. Par exemple, si vous utilisez les fonds pour démarrer une entreprise, ces contributions pourraient être imposables comme des revenus d’affaires.
- Pour les contributeurs : Les dons à des projets de sociofinancement ne sont pas admissibles à un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance, sauf si le projet est associé à un organisme de bienfaisance enregistré.
2. Sociofinancement par récompenses
Le sociofinancement par récompenses est l’un des modèles les plus courants, où les contributeurs reçoivent un produit ou un service en échange de leur contribution. Les plateformes comme Kickstarter ou Indiegogo utilisent fréquemment ce modèle.
- Traitement fiscal pour le porteur de projet : Les fonds reçus en échange de récompenses sont généralement considérés comme des revenus imposables, car ils représentent des ventes de biens ou de services. Par conséquent, ces montants doivent être déclarés comme des revenus d’entreprise et sont soumis aux impôts sur le revenu.
- Obligation de percevoir la TPS/TVQ : Si vous vendez des produits ou services en échange de contributions, et que vos ventes imposables dépassent le seuil de 30 000 $ par année, vous devez vous inscrire aux fins de la TPS (Taxe sur les produits et services) et, le cas échéant, de la TVQ (Taxe de vente du Québec). Cela signifie que vous devrez percevoir et remettre ces taxes au gouvernement sur les montants reçus.
3. Sociofinancement par prêt
Le financement participatif sous forme de prêt permet aux contributeurs de prêter des fonds au porteur de projet, qui s’engage à les rembourser avec ou sans intérêt.
- Traitement fiscal pour le porteur de projet : Les montants reçus sous forme de prêt ne sont pas considérés comme des revenus imposables, car il s’agit d’une dette qui doit être remboursée. Toutefois, les intérêts payés aux prêteurs seront considérés comme une dépense d’entreprise et pourront être déduits dans le calcul du revenu imposable.
- Pour les contributeurs : Les intérêts reçus sont imposables et doivent être déclarés comme un revenu de placement dans leur déclaration fiscale. En cas de non-remboursement du prêt, les prêteurs peuvent potentiellement déduire des pertes en capital.
4. Sociofinancement en capital (actions ou royalties)
Dans ce modèle, les contributeurs investissent des fonds en échange d’actions ou de parts dans une entreprise, ou encore en échange de droits futurs sur des redevances (royalties).
- Traitement fiscal pour le porteur de projet : Les fonds reçus en échange d’actions ou de parts ne sont pas imposables directement, car ils représentent un investissement en capital. Toutefois, si l’entreprise verse des dividendes ou des redevances à ces investisseurs, ces montants seront imposables comme des revenus d’entreprise.
- Pour les contributeurs : Les investisseurs devront déclarer les dividendes ou les gains en capital générés par la vente de leurs actions. Les redevances reçues seront également imposables comme des revenus de placement.
II. La Nécessité d’un Prospectus auprès de l’AMF
Lorsqu’il s’agit de sociofinancement au Québec, une question cruciale se pose : doit-on déposer un prospectus auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) lorsque l’on sollicite des contributions financières du public ? La réponse dépend du type de sociofinancement que vous utilisez.
1. Sociofinancement en capital (actions ou titres)
Si votre campagne de sociofinancement consiste à offrir des actions, des obligations ou d’autres titres en échange de contributions, vous pourriez être soumis aux règles des lois sur les valeurs mobilières. Ces lois exigent, en principe, que les émetteurs de titres déposent un prospectus auprès de l’AMF pour protéger les investisseurs.
Qu’est-ce qu’un prospectus ?
Le prospectus est un document légal détaillé qui doit divulguer toutes les informations pertinentes sur l’entreprise, les titres offerts, et les risques associés à l’investissement. Il a pour objectif de fournir une transparence complète aux investisseurs potentiels.
Exceptions et dispenses :
Toutefois, dans certains cas, il est possible de se soustraire à l’obligation de déposer un prospectus en bénéficiant d’une dispense légale. Voici les principales dispenses applicables dans le cadre du financement participatif au Québec :
- Dispense pour les investisseurs accrédités : Si vous limitez la vente de titres à des investisseurs dits « accrédités », tels que des personnes fortunées ou des institutions, vous pouvez bénéficier d’une dispense de prospectus.
- Règlement 45-108 sur le financement participatif : Ce règlement offre une dispense de prospectus spécifique pour les campagnes de financement participatif qui se déroulent via des plateformes en ligne enregistrées auprès de l’AMF. Voici les principales conditions à respecter pour bénéficier de cette dispense :
- Le montant total levé ne doit pas excéder 1,5 million de dollars par période de 12 mois.
- Les investisseurs individuels sont limités à investir un montant maximal de 2 500 $ par projet (ou jusqu’à 5 000 $ si certaines conditions sont remplies).
- L’émetteur doit être une entreprise privée, non cotée en bourse.
- Le financement doit passer par une plateforme en ligne inscrite auprès de l’AMF.
Cette dispense vise à simplifier le processus de levée de fonds pour les petites entreprises tout en protégeant les investisseurs par des règles strictes sur les montants investis.
2. Autres types de sociofinancement
Les formes de sociofinancement par dons, récompenses ou prêts ne sont pas soumises aux lois sur les valeurs mobilières et ne nécessitent donc pas de prospectus, car il n’y a pas d’émission de titres. Ces modèles échappent aux obligations en matière de valeurs mobilières puisqu’ils ne concernent pas la sollicitation d’investissements en capital.
Conclusion
Le sociofinancement offre une opportunité unique de lever des fonds pour des projets, mais il comporte aussi des obligations fiscales et réglementaires importantes. En matière de fiscalité, chaque modèle de sociofinancement a ses propres conséquences, qu’il s’agisse de déclarer des revenus, de percevoir des taxes ou de déduire des dépenses.
Sur le plan des valeurs mobilières, si vous envisagez d’offrir des actions ou d’autres titres en échange de contributions, il est crucial de vérifier si vous devez déposer un prospectus auprès de l’AMF. Dans de nombreux cas, des dispenses de prospectus peuvent simplifier le processus, notamment grâce au règlement sur le financement participatif.
Comme pour toute question complexe touchant aux lois fiscales et réglementaires, il est fortement recommandé de consulter un avocat ou un fiscaliste pour vous assurer de respecter toutes les obligations légales et maximiser le succès de votre campagne de sociofinancement.