Les placements sans prospectus peuvent sembler être une opportunité lucrative, mais ils comportent des risques considérables, notamment du point de vue juridique. Au Québec, la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) encadre les transactions de valeurs mobilières, et tout manquement à cette loi peut entraîner des sanctions graves. Parmi les infractions possibles, les placements effectués sans prospectus sont l’un des sujets les plus délicats. Dans ce billet, nous explorerons en détail les règles pénales applicables à ces infractions et ce que les investisseurs et les émetteurs doivent savoir pour éviter de tomber dans les pièges de la loi.
Qu’est-ce qu’un prospectus et pourquoi est-il important ?
Le prospectus est un document légalement requis lorsqu’une entreprise souhaite émettre des valeurs mobilières, telles que des actions ou des obligations, pour recueillir des fonds auprès du public. Ce document fournit une information détaillée aux investisseurs potentiels sur la nature de l’investissement, les risques associés, les états financiers de l’entreprise, et d’autres éléments essentiels. Il s’agit d’une mesure de protection des investisseurs, leur permettant de prendre une décision éclairée.
Cependant, certaines situations peuvent permettre de contourner cette exigence. C’est ce qu’on appelle les “placements dispensés”, qui autorisent certains émetteurs à vendre des valeurs mobilières sans prospectus. Bien que cela offre une certaine souplesse, il est essentiel de comprendre les conditions strictes entourant ces exemptions pour éviter de tomber sous le coup des sanctions.
Les règles d’exemption de prospectus
La LVM et le Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et d’inscription encadrent les situations dans lesquelles un émetteur peut procéder à un placement sans prospectus. Ces exemptions sont rigoureusement définies et incluent des conditions comme la vente à des investisseurs qualifiés (par exemple, des institutions financières, des particuliers fortunés) ou la vente de montants limités d’investissements à un petit groupe de personnes. Les exemptions les plus courantes incluent :
- Les placements auprès d’investisseurs qualifiés : Un investisseur qualifié est généralement une personne ou une entité ayant une importante expérience et connaissance des marchés financiers, ou disposant de ressources financières significatives. La loi présume que ces investisseurs n’ont pas besoin du même niveau de protection qu’un investisseur moyen.
- Les placements à des investisseurs en vertu de la dispense de notice d’offre : Cette dispense permet aux entreprises d’offrir des valeurs mobilières avec une documentation réduite, souvent appelée “notice d’offre”, qui est une alternative simplifiée au prospectus.
- Les placements aux membres de la famille ou amis proches : Cette dispense permet de contourner le prospectus lorsqu’une entreprise lève des fonds auprès de personnes qui sont des proches de ses fondateurs ou de ses dirigeants.
Si ces dispenses peuvent sembler être une alternative plus simple pour lever des fonds, il est essentiel de les respecter à la lettre, sous peine d’encourir des sanctions sévères. En effet, l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui supervise l’application de la LVM au Québec, peut imposer des amendes et engager des poursuites pénales contre les contrevenants.
Exemples concrets de placements illégaux sans prospectus
Pour mieux comprendre ce qui constitue un placement illégal sans prospectus, voici quelques exemples pratiques basés sur des scénarios communs dans le secteur des valeurs mobilières.
- Levée de fonds auprès d’investisseurs non qualifiés sans exemption
Imaginons une entreprise technologique en démarrage qui souhaite lever des fonds auprès d’un groupe d’investisseurs non qualifiés. Elle approche une cinquantaine de personnes, principalement des particuliers sans expérience notable dans le domaine des valeurs mobilières, et leur propose d’acheter des actions sans émettre de prospectus ni se conformer aux exemptions légales.
Violation : Dans ce cas, l’entreprise viole les exigences de la LVM. Sans prospectus, elle aurait dû s’assurer que tous les investisseurs respectaient les critères d’exemption, comme être des “investisseurs qualifiés” ou limiter le nombre de personnes approchées. L’AMF pourrait infliger des amendes et engager des poursuites contre l’entreprise pour ce placement illégal. - Vente d’actions à des amis éloignés sous l’exemption familiale sans vérification
Un fondateur de PME vend des actions de son entreprise à un ami de longue date, mais qui n’est pas considéré comme un proche parent ou un ami très proche selon les critères définis par la loi. Le fondateur invoque l’exemption pour vente à des membres de la famille ou amis proches pour contourner la nécessité de publier un prospectus, sans prendre les mesures pour vérifier si la relation entre les parties satisfait aux exigences.
Violation : Même si le vendeur et l’acheteur se connaissent bien, cette relation n’entre pas dans les critères stricts d’exemption des proches définis par la loi. Le fondateur aurait dû émettre un prospectus ou respecter une autre dispense. Cette vente pourrait entraîner des sanctions pénales, car elle contrevient aux règles sur les exemptions de prospectus. - Placement massif via réseaux sociaux sans exemption appropriée
Une entreprise en démarrage décide de lever des fonds en faisant la promotion de ses actions via des publications sur les réseaux sociaux, appelant des investisseurs à acheter des parts dans l’entreprise sans prospectus. La promotion ne cible pas un groupe restreint d’investisseurs qualifiés, mais est au contraire largement visible par le grand public.
Violation : En procédant ainsi, l’entreprise contourne non seulement l’obligation de prospectus, mais elle ne respecte également aucune des exemptions prévues par la LVM, telles que la restriction du nombre d’investisseurs ou la qualification des investisseurs. Le recours à une plateforme publique, sans encadrement légal approprié, constitue une violation claire de la réglementation sur les valeurs mobilières. - Levée de fonds auprès d’un investisseur non qualifié sous fausse déclaration
Une entreprise approchant des investisseurs prétend que ces derniers sont qualifiés sous les critères légaux, alors qu’en réalité, ils ne remplissent pas les conditions. Par exemple, l’entreprise affirme que l’investisseur dispose de plus de 1 million de dollars d’actifs financiers, alors que cette information est inexacte. Les actions sont ensuite vendues sans prospectus en s’appuyant sur cette fausse déclaration.
Violation : La vente d’actions basée sur des informations erronées concernant la qualification de l’investisseur constitue une infraction sérieuse. L’émetteur des valeurs mobilières est tenu de vérifier et de documenter que l’investisseur est bel et bien qualifié. Le recours à des fausses déclarations expose l’entreprise à des sanctions financières et pénales importantes.
Les sanctions pénales en cas de non-respect
Le non-respect des exigences liées au prospectus est une infraction grave en vertu de la LVM. Le législateur québécois, soucieux de protéger l’intégrité du marché financier et les investisseurs, a prévu des sanctions pénales significatives pour dissuader les comportements fautifs.
Voici un aperçu des sanctions possibles :
- Amendes : En vertu de l’article 202 de la LVM, les contrevenants peuvent être passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 5 000 000 $ ou trois fois le montant obtenu par l’infraction. Cette disposition montre clairement la sévérité des sanctions financières en cas d’infractions.
- Peines d’emprisonnement : Outre les amendes, les personnes physiques reconnues coupables d’une infraction peuvent être condamnées à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans moins un jour. Cela reflète la gravité des infractions liées aux valeurs mobilières.
- Responsabilité des dirigeants : Les dirigeants d’une entreprise ne sont pas à l’abri des poursuites. La LVM prévoit qu’un dirigeant ou administrateur qui a participé ou permis l’infraction peut être tenu personnellement responsable, entraînant des sanctions individuelles.
- Sursis aux opérations financières : L’AMF peut aussi imposer des mesures conservatoires, telles que la suspension des opérations de l’entreprise ou des interdictions d’exercer pour les dirigeants impliqués dans l’infraction.
Conclusion
La levée de fonds sans prospectus peut offrir des opportunités intéressantes pour les entreprises au Québec, mais elle est également source de nombreux risques juridiques. Le non-respect des règles entourant les exemptions de prospectus, comme le stipule la Loi sur les valeurs mobilières, peut entraîner des sanctions pénales sévères, allant de lourdes amendes à des peines de prison. Afin d’éviter ces écueils, il est essentiel pour les émetteurs et les investisseurs de comprendre leurs obligations légales et de s’assurer qu’ils respectent rigoureusement les exigences prévues par la loi.