Histoires d'horreur

Les cas pratiques relatés ici ne sont nullement des "légendes urbaines" ou des "histoires à dormir debout", mais de véritables litiges, fréquemment rencontrés par des malheureux (et souvent mal conseillés) contribuables. Les noms et les circonstances sont fictifs, afin de préserver l'identité des individus. Cependant, les faits illustrés sont authentiques...

CAS #1 Les associés et les remises de taxes

Maryse et Robert décident de créer ensemble une entreprise dûment incorporée. Il apparaîtrait qu'au livre de la compagnie, ainsi qu'aux registres de l'inspecteur Général des Institutions financières, que Maryse et Robert soient tous les deux considérés comme administrateurs de la compagnie. Dans les faits, Maryse est responsable de la comptabilité, alors que Robert s'occupe du service des ventes et des fournisseurs. En fait, Robert n'a jamais "touché" aux chiffres, faisant pleinement confiance à Maryse pour la remise des taxes de vente.

Suite à une querelle, Robert décide de vendre ses parts à Maryse et de quitter ainsi la compagnie. Or, voilà que tout près de deux ans plus tard, Robert reçoit personnellement, en son nom, un avis de cotisation du Ministère du revenu pour une somme de 48,654.90$. Cette somme représente des taxes de vente que la compagnie auraient perçues, mais négligé de remettre.

Robert proteste auprès du fisc en leur expliquant qu'il a quitté la compagnie depuis longtemps et que de toute façon, c'est Maryse qui s'est toujours occupée des remises de taxes. C'est elle la vraie responsable. Malgré ses explications, le fisc décide de maintenir la cotisation et de saisir le compte en banque de Robert.

LE FISC AVAIT IL RAISON ?
Conformément à l'article 24.0.1 de la Loi sur le Ministère du Revenu L.R.Q. c-M-31, il appert effectivement qu'un administrateur d'une compagnie puisse être personnellement tenu responsable des sommes qu'auraient dû percevoir et remettre sa compagnie. Cependant, cette loi prévoit des circonstances d'application bien précises, ainsi que des cas d'exception en faveur de l'administrateur. Robert aurait certainement eu avantage à consulter un professionnel afin de vérifier si son cas ne présentait pas effectivement de telles dérogations.


CAS #2 le travail à l'étranger

Martine est infirmière et décide d'aller travailler en Suisse, vu les piètres conditions d'emploi prévalant actuellement au Québec. Elle accepte un contrat à durée indéterminé. Dans les faits, elle aura travaillé pendant 3 ans en Europe. Pendant cette période, Martine revient occasionnellement au Québec pour y visiter sa famille. Elle ne fait que de courts séjours au Québec, vu son emploi du temps très chargé.

Comme Martine n'a nullement travaillé au Canada pendant ces trois années, elle n'a produit aucun rapport d'impôt auprès du fisc canadien et québécois. Or, à son retour au pays, Martine apprend, à sa totale stupéfaction, que les autorités fiscales canadiennes et québécoises lui réclament la production des trois rapports d'impôt manquants et ce, afin de lui réclamer des impôts sur son salaire gagné en Suisse...salaire sur lequel elle a déjà d'autre part payé des impôts auprès du fisc Suisse.

Martine explique son cas, mais le fisc maintient sa décision. Elle se résigne et paie ainsi les impôts réclamés.

LE FISC AVAIT IL RAISON ?
Conformément aux diverses législations fiscales en vigueur au Canada et au Québec, un contribuable est tenu de payer un impôt calculé à partir de l'ensemble de ses revenus mondiaux. Cependant, il existe divers mécanismes et conventions fiscales internationales visant justement à éviter à un contribuable de payer en double des impôts provenant d'une même source.

De plus, il apparaît que Martine aurait pu faire valoir au fisc qu'elle n'était plus une résidente canadienne pour les fins de l'assujestissement aux lois fiscales. Dans cet ordre d'idée, Martine n'aurait plus été tenue de payer des impôts au Canada et au Québec. La question de savoir si une personne est encore un "résident" pour fins d'impôt est essentiellement une question de fait. Un examen approfondi de la situation de Martine aurait pu permettre d'affirmer qu'elle n'était plus une résidente, et ainsi éviter le paiement des impôts.

Le cas de Martine soulève de nombreux points techniques et légaux nécessitant une expertise adéquate de la part d'un professionnel.

CAS #3 Travailleur autonome vs travailleur salarié

Paul a toujours travaillé dans le domaine de la vente comme représentant. Un bon jour, il se voit offrir une occasion en or afin de démarrer sa propre agence de distribution. En effet, un important fabricant américain de produits de décoration cherche quelqu'un pour assurer les ventes au Québec. Paul signe avec ce manufacturier un contrat d'agence pour le Québec.

Dans cette optique, Paul décide de subdiviser la province en 10 territoires et d'accorder chacun de ceux-ci à d'autres vendeurs. Afin d'éviter toutes complications, Paul signe avec chacun des vendeurs un contrat stipulant clairement que chaque vendeur est engagé à titre de travailleur autonome, avec seulement des commissions. Ainsi, Paul ne paye pas de frais de déplacements, ni autre dépenses aux vendeurs.

Dans le même ordre d'idée, Paul ne retient aucune déduction à la source sur les commissions payées, puisqu'il ne s'agit pas de salaire mais bien des honoraires de travailleur autonome. De plus, chaque vendeur a, comme tout travailleur autonome, l'obligation de produire son propre rapport d'impôt et bilan et de réclamer ses propres déductions d'entreprise.

Cependant, suite à une vérification fiscale, il apparaît que Revenu Québec considère que les vendeurs de Paul ne sont nullement des travailleurs autonomes, mais bien de simples salariés au sens de la loi. Cette vérification entraîne immédiatement une série de conséquences catastrophiques pour Paul et ses vendeurs. Premièrement, puisque les commissions payées sont un salaire et non des honoraires, Paul se voit exiger de remettre les déductions à la source qu'il aurait dû percevoir et verser au Ministre à chaque mois. Quant aux vendeurs, puisqu'ils se font refuser leurs statuts de travailleurs autonomes, pour ne devenir que de simples salariés, ils reçoivent des cotisations amendées afin de se voir refuser toutes les dépenses d'affaire qu'ils avaient réclamés. En effet, les dépenses d'affaire ne sont pas admissibles alors que pour les contribuables tirant des revenus d'une entreprise, par opposition à des revenus d'emploi.

Paul et les vendeurs protestent, alléguant qu'ils ont des contrats de vendeurs autonomes. Peine perdue, le fisc n'entend rien et cotise en conséquence...

LE FISC AVAIT IL RAISON ?
La question visant à déterminer si un travailleur est "autonome" ou "salarié" est excessivement complexe. Pour y répondre, il faut prendre en considération un ensemble de facteurs. Cependant, au cours des années, les tribunaux ont eu à se pencher à de très nombreuses occasions sur la question. La jurisprudence a donc développé de grandes lignes directrices visant à résoudre ce type de litige. Quant à lui, Revenu Québec a également développé des politiques d'interprétation sur ce point.

Tout contribuable visé par tel type de litige aurait un vif intrêt à consulter afin de faire déterminer son statut par un professionnel compétent.

CAS #4 Les pertes d'entreprises

Viviane travaille pour un important bureau de courtier en valeurs mobilières et gagne facilement tout près de 80,000$ par an. Elle a aussi toujours eu une grande passion pour la plongée et la photographie sous-marine. Un bon jour, elle décide de partir une petite entreprise visant à donner des cours de plongée et de photo marine. Évidemment, elle n'abandonne pas son travail de courtier, bien que sa nouvelle entreprise occupe tous ses loisirs.

Au cours des années, Viviane a quelques classes d'élèves, elle donne également des cours au collège et obtient des contrats de photographie pour le compte d'agences publicitaires. Bien que Viviane ait des revenus d'affaires à chaque année, il apparaît qu'au cours des 4 dernières années, les dépenses ont toujours été plus élevées que les revenus. Résultat: Viviane fait une perte d'entreprise à chaque année.

Cependant elle ne se décourage pas. Elle demeure confiante qu'un jour prochain elle fera des bénéfices. De plus, elle se dit qu'en attendant ce jour, les pertes qu'elle fait à chaque année viennent diminuer son revenu imposable, lequel est passablement élevé, vu son excellent salaire de courtier... Or, un bon matin, voilà que Viviane reçoit un avis du fisc lui indiquant que l'ensemble des pertes réclamées au cours des 3 dernières années lui sont refusées. En conséquence, le fisc émet des nouvelles cotisations pour ces années afin d'augmenter ses revenus et, bien entendu, afin de lui réclamer des impôts supplémentaires. La raison invoquée par le fisc est que Viviane a exploité une activité qui n'offrait aucune expectative raisonnable de profit. Celle-ci proteste en alléguant que son entreprise est bien réelle, qu'elle a de véritables contrats et qu'un jour elle fera des profits. Peine perdu, le fisc maintient sa décision.

LE FISC AVAIT IL RAISON ?
  
Il y a lieu de recourir à la méthode à deux volets suivante pour déterminer si les activités d’un contribuable sont une source de revenu constituée d’une entreprise ou d’un bien : (i) L’activité du contribuable est‑elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit‑il d’une démarche personnelle?  (ii) S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est‑elle une entreprise ou un bien?  Le premier volet du critère ne s’applique que si l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif.  Lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, la recherche d’un profit par le contribuable est établie.  Il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin en analysant les décisions commerciales du contribuable.  Cependant, lorsque la nature de l’entreprise du contribuable comporte des aspects indiquant qu’elle pourrait être considérée comme un passe‑temps ou une autre activité personnelle, cette entreprise ne sera considérée comme une source de revenu que si elle est exploitée d’une manière suffisamment commerciale.  Pour qu’une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l’intention subjective de réaliser un profit et il doit exister une preuve de comportement d’homme d’affaires sérieux étayant cette intention.  L’expectative raisonnable de profit n’est rien de plus qu’un facteur parmi d’autres qui doit être pris en considération à ce stade.
 
La déductibilité des dépenses, qui présuppose l’existence d’une source de revenu, ne doit pas être confondue avec l’examen préliminaire portant sur l’existence de cette source.  Une fois qu’on a déterminé qu’une activité est suffisamment commerciale pour être considérée comme une source de revenu, on procède à l’examen de la déductibilité pour déterminer si la dépense en cause tombe sous le coup de la disposition ou des dispositions en matière de déduction pertinentes de la Loi.  Refuser la déduction de pertes pour le seul motif que les pertes indiquent l’inexistence d’une entreprise (ou d’un bien) comme source de revenu va à l’encontre du texte et de l’économie de la Loi.  La question de savoir s’il existe une entreprise est distincte de celle de la déductibilité des dépenses.  Refuser des déductions en fonction d’une analyse de l’expectative raisonnable de profit équivaudrait à une règle jurisprudentielle sur la minimisation des pertes, qui serait contraire aux principes d’interprétation établis qui s’appliquent à la Loi.  De même, à la différence de nombreuses règles législatives sur la minimisation des pertes, dès que des déductions sont refusées à la suite de l’application du critère de l’expectative raisonnable de profit, le contribuable ne peut reporter ces pertes sur un revenu futur si jamais l’activité devient rentable.

Au cours des années, les tribunaux canadiens ont eu à se prononcer à de très nombreuses reprises sur cette question. Il existe donc de nombreux cas de jurisprudence.

Ainsi, Viviane aurait manifestement eu avantage à consulter un professionnel afin de faire examiner minutieusement les prétentions du fisc.

x;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .

  

© Louis Sirois, avocat, 2004